samedi 25 août 2012

Côte d'Ivoire: Nommés ambassadeurs, des anciens généraux éloignés du pays.


25 août 2012
Komla KPOGLI

Web. http://lajuda.blogspot.com

Lors d’une conversation téléphonique au lendemain de la capture du président Laurent Gbagbo avec un journaliste togolais, celui-ci m’interrogeait sur le sort qui va être réservé aux généraux de l’armée nationale de Côte d’Ivoire, à leur tête le général Philippe Mangou. Sans hésiter, je lui avais dit que tous ces hauts gradés de l’armée qui, hier servaient leur pays et résistaient aux côtés du peuple africain de Côte d’Ivoire depuis les agressions de 2000, et qui, le pouvoir du président Laurent Gbagbo ayant été défait, ont fait allégeance au régime franco-ouattariste seront nommés ambassadeurs et éloignés du pays. Car, « c’est la seule façon de les neutraliser », avais-je dis à mon interlocuteur.
Philippe Mangou, ex chef d'état major des forces armées de Côte d'Ivoire, nouvel ambassadeur de Côte d'Ivoire au Gabon, adressant sa lettre de créance à Ali Bongo






Aujourd’hui, c’est chose faite. Philippe Mangou est nommé et confirmé ambassadeur de côte d’Ivoire dans le territoire du Gabon. L’ancien chef d’état major des forces armées de Côte d’Ivoire a présenté le 10 août 2012 sa lettre de créance, comme on le dit dans le jardon diplomatique, à Ali Bongo, le préfet de « La République » au Gabon. L’ex commandant supérieur de la gendarmerie sous le président Laurent Gbagbo, le général Edouard Kassaraté Tiapé, quant à lui, nommé ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Sénégal a pris ses fonctions vendredi 24 août dernier en présentant sa lettre de créance à Macky Sall.Outre ces deux généraux, Eugène Alou Alou, ancien chef du protocole du président Gbagbo est nommé ambassadeur de la Côte d’Ivoire en Egypte.
Pour nombre d’esprits, cette vague de nomination des rescapés de l’ère Gbagbo serait le signe même de l’ouverture du régime franco-ouattariste qui ne verse pas dans la chasse aux sorcières. En faisant de ces fidèles du président Gbagbo reconvertis au franco-ouattarisme après la guerre de reconquête menée à la Côte d’Ivoire par la France, l’ONU, l’Union Africaine des tyrans et leurs séides locaux, des ambassadeurs, Alassane Ouattara montrerait ainsi qu’il ne serait pas un homme à tenir rigueur à des « ennemis d’hier ». Cette lecture n'est pas tout à fait exacte. Tout simplement parce qu’en nommant ambassadeurs ces hommes qui, par les fonctions qu’ils avaient exercées, disposent manifestement de soutiens et des fidèles éléments au sein des corps armés, Ouattara tente d’ôter de ses pieds des épines dont la présence sur le sol ivoirien peut gêner l’installation et l’affermissement de son régime encore titubant.
Sur ces images, on voit le Gal. Kassaraté n'ayant pas encore perdu ses réflexes de militaire se mettre au garde-à-vous devant Macky Sall


Il s’agit là de faire d’une pierre deux coups : éloigner le danger en exilant « diplomatiquement » ces hommes et s’offrir l’image d’un régime qui ne maltraite pas l’ennemi qui s’est rendu. Ces hommes dont l’élimination physique ou l’emprisonnement serait le plus grand risque à prendre (leurs éléments et leurs fidèles pouvant user des moyens et de leurs connaissances militaires pour tenter de les venger ou les sortir de prison), il vaut mieux les mettre hors du pays, les isoler tout en gardant sur eux un œil attentif. Il n’y a pas un secteur où on peut suivre ces « éléments dangereux » si ce n’est dans les ambassades sises dans des pays amis. C’est d’une certaine manière, tuer un adversaire tout en le gardant en vie. Le castrer, détruire sa puissance de nuisance en le sortant du domaine d’expertise et du milieu qui est le sien. Bref, le dérouter et lui confier la mission de polir désormais l’image de l’adversaire d’hier devenu, par la force des armes et par le jeu de ses alliances, le nouveau maître du jeu. Vendre ce qu’on a vomi hier, voilà la tâche à accomplir.
Cette pratique de déportation et d’éloignement de l’ennemi vaincu qu’il est trop risqué de tuer ou d'emprisonner sur place n’est pas une solution nouvelle sous les tropiques.  Lors des conquêtes coloniales aux lendemains des razzias négrières transatlantiques ayant profondément déstructuré les sociétés africaines, les puissances coloniales éloignaient les résistants capturés pour des raisons de « sécurité intérieure ». Ainsi, l’Almamy Samory Touré résistant contre la France coloniale en Guinée « forestière » fut capturé en 1898 et déporté à Ndjolé au Gabon où il mourut. Son compatriote Alpha Yaya Diallo, roi du Fouta fut lui déporté en Mauritanie où il mourut en 1912. Les cendres de ces deux résistants africains ne seront rapatriés en Guinée qu’en septembre 1968, lors de la célébration du dixième anniversaire de « l’indépendance » de la Guinée où Sekou Touré leur rendit un vibrant hommage. Non loin de le Guinée française, un autre résistant à Dahomey, Behanzin fut défait et capturé en 1894 par le colonel français Alfred Dodds. Il fut déporté à la Martinique, puis transféré avec ses 03 épouses, son fils et ses 02 filles au Blida en Algérie où il mourut. Au Ghana, les Anglais sous prétexte de négocier avec le roi des Ashantis, Nana Agyman Prempeh le capturèrent en 1896. Le résistant ashanti, ses collaborateurs et la reine mère furent exilés au Sierra Leone, puis transférés aux Seychelles. Le cas du président Laurent Gbagbo, lui-même, capturé, fait prisonnier, puis éloigné du pays s'inscrit dans cette culture d'éliminer sans tuer un ennemi politique encore trop dangereux par sa popularité ou par son influence.
Avec des exemples mentionnés ci-dessus, il est clair que la politique d’éloignement des opposants ne date pas d’aujourd’hui dans le cadre colonial africain. Les colonisateurs motivaient ces éloignements par les nécessités de la « pacification » et du bon déroulement de la « politique d’administration » dans ces territoires tombés dans leurs escarcelles par la force des armes. Mais, avant d'être mis en œuvre dans les territoires africains conquis, le principe d’éloignement fut inventé et pratiqué en France d’où on exilait les opposants politiques, les condamnés aux travaux forcés et les délinquants récidivistes vers des bagnes coloniaux d'Outre-Mer : Guyane, Cayenne, Nouvelle-Calédonie, Algérie…Au lendemain de la révolution de 1789, la pratique d’éloignement fut systématisée et inscrite dans le code pénal de 1791. D’autres territoires vont venir allonger la liste des lieux de déportation dont le Madagascar. En 1850, une loi française instituait l’exil, l’éloignement politique en remplacement de la peine de mort pour des crimes politiques abolie par la constitution de 1848. Déjà le 25 juin 1848, Antoine Senard, président de l’Assemblée Nationale Constituante, dans une déclaration à la tribune et dépose un projet de loi : « Article premier : "Tout individu pris les armes à la main sera immédiatement déporté outre-mer."  Le rapporteur de la commission chargée d’étudier le projet , Hyacinthe Charles Méaulle  ajoutera “seront transportés par mesure de sûreté générale dans les possessions d’outre-mer…, les individus actuellement détenus qui seront reconnus avoir pris part à l’insurrection du 23 juin et des jours suivants.” Le 27 juin 1848, le premier décret de transportation, d’éloignement, fut adopté. Suivra une série de lois et de décrets confirmatoire.  
Grâce à un tel système, les classes dirigeantes de la France avaient réussi à mettre « hors d’état de nuire » de dangereux adversaires ainsi que des individus dont la présence dans l’hexagone était perçue comme un risque pour la paix, la sécurité et l’économie; bref, un risque pour leur pouvoir. C’est donc cette méthode d’élimination politique qui est modernisée, recommandée par des conseils et appliquée par Alassane Ouattara qui a tout à gagner en éloignant du pays les hauts gradés de l’armée ivoirienne qui l’avaient combattu. Reste à savoir si cette tactique finement jouée constitue un gage pour une Côte d’Ivoire franco-ouattariste apaisée. Rien n’est certain. Lorsqu’on sait que le régime Ouattara est un fait d’armes et surtout une créature française, la « transportation » des cadres de l’armée nationale défaite et leur nomination comme ambassadeurs ne suffiront pas pour asseoir définitivement une autorité faite et « reconnue par la communauté internationale », selon les mots mêmes de ses parrains occidentaux et africains. La résistance, même si elle est désorganisée et difficile à coordonner, est populaire et est inscrite dans le crâne de beaucoup d’anonymes. Aussi, des actions individuelles ou de groupes restreints ne lâcheront pas de sitôt. On le voit d’ailleurs avec des attaques ici ou là dans le territoire de Côte d’Ivoire où ces derniers temps des actions armées surprennent le satrape d’Abidjan et ses laquais. Il ne pourra en être autrement lorsqu’on sait les massacres qu’ils ont commis et fait commettre pour accéder au pouvoir au nom de la mère France, de la fille Union Africaine, et de la Sainte ONU. Les victimes, les familles de ces victimes et tous ceux qui, dans le territoire de Côte d'Ivoire, trinquent économiquement et socialement sous le régime franco-ouattariste, eux ne seront jamais éloignés, jamais déportés du pays. 

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