jeudi 9 octobre 2008

Trafic d'armes : l'affaire Jacques Monsieur plane sur l'Angolagate

ENQUETE
C'est devenu un classique chez les avocats pénalistes confrontés à une grosse affaire politico-financière. A l'ouverture de l'audience, faire le procès du juge et de l'enquête. Dans l'Angolagate, les ténors du barreau ont plutôt choisi d'attaquer la procédure, déjà mise à mal pendant l'enquête. Pourtant, une affaire similaire de trafic d'armes a été jugée au printemps dernier à Bourges. Elle devrait, logiquement, faire jurisprudence. Analyse.

Un jugement passé inaperçu, dans une affaire similaire

Mercredi 21 mai 2008, il y avait peu de monde au Tribunal de grande instance de Bourges. Pourtant, ce jour-là, les magistrats rendaient public leur décision sur une énorme affaire de trafic d'armes. Or, l'histoire du marchand belge Jacques Monsieur s'est écrite à la même époque que celle de Pierre Falcone. Dans les années 90, M. Monsieur, fils de bonne famille passionné de chevaux de dressage lusitaniens, s'installe à Lignières (Cher) pour restaurer un haras au pays de l'âne noir.
Fort de ses contacts avec les réseaux Pasqua, il poursuit son activité d'intermédiaire, avec l'assentiment des services secrets occidentaux, comme il l'expliquera dans l'unique entretien accordé en 2004 à RFI. Il achète, vend et livre toute sorte d'armes à des pays aussi différents que l'Iran, l'Inde, le Venezuela, le Togo, le Qatar, les deux Congo… Un vrai « lord of war », surnommé « the fox » (le renard) dans le milieu.
Le cas Monsieur est intéressant pour les avocats engagés dans la procédure de l'Angolagate, car les points de similitude sont nombreux :
Jacques Monsieur effectue de nombreuses transactions entre pays étrangers (armes iraniennes vendues au Congo Brazzaville en 1997) ;
il passe le plus souvent par une société (Matimco) basée à l'étranger (Bruxelles) ;
il utilise de nombreuses banques étrangères (Luxembourg, Suisse) et des relais dans les paradis fiscaux ;
la seule matérialité établissant le « commerce illicite d'armes » repose souvent sur un contrat ou une lettre de crédit signé, ou parfois un échange de faxes.

Une jurisprudence constante depuis 1939

Logiquement, maître Hervé Cabeli, avait plaidé durant la procédure la nullité des poursuites, puisque les transactions ne passaient pas, matériellement, par la France. Un argument repris dès mardi par les avocats de l'Angolagate.
Dans son jugement, le TGI de Bourges est formel (voir le document). Les poursuites pour « commerce illicite d'armes » sont valables, car elles reposent sur le décret-loi de 1939 qui définit deux principes :
dans l'article 2, il est indiqué que la fabrication et le commerce d'armes de guerre « ne peuvent fonctionner et l'activité de leurs intermédiaires ou agents de publicité ne peut s'exercer qu'après autorisation de l'Etat et sous son contrôle ».
dans l'article 24, le même texte « sanctionne expressément toute personne qui “exercera son activité en qualité d'intermédiaire” à l'occasion de la fabrication ou du commerce des matériels, armes et munitions des catégories visées à l'article 2 du décret, sans qu'aucune condition de nationalité de la personne ne soit édictée ».

Et la conclusion des juges est d'une logique implacable :

« Aucune des dispositions du décret-loi précité n'impose, par ailleurs, que le matériel d'armement ou les munitions transitent sur le territoire national, le texte se bornant à incriminer les personnes accomplissant des actes de commerce ou agissant en qualité d'intermédiaire, dès lors qu'un seul élément de l'acte de commerce a été accompli sur le territoire national ;
L'argumentation de Jacques Monsieur -tendant à la démonstration de l'existence d'un vide juridique dans l'hypothèse où les armes et munitions n'ont pas transité sur le territoire national- devra donc être écarté ; »

En 2001, la Cour de cassation a déjà « nettoyé » la procédure

L'agitation de la prestigieuse brochette d'avocats de l'Angolagate ressemble fort à un coup pour rien. D'autant plus que cette procédure, comme toutes les affaires politico-financières d'envergure, a fait l'objet d'un peignage juridique pointilleux. Tout le monde semble avoir oublié qu'en juin 2001, la Cour de cassation avait annulé une partie de la procédure et des mises en examen, au motif justement de non-conformité avec le décret de 1939. (Voir la vidéo)
Pour mémoire, Jacques Monsieur a écopé d'une peine lourde (quatre ans de prison) mais avec sursis, notamment parce qu'il avait déjà purgé une autre peine, en Belgique, pour les mêmes faits et d'une amende ridicule (4500 euros) au regard des sommes en jeu.
Quant à ses complices, factotums ou représentants dans des pays étrangers, ils ont aussi eu droit à des peines avec sursis et de toutes petites amendes. Dans la mesure où personne -ni les prévenus ni le ministère public- n'a fait appel de cette décision judiciaire, ce jugement est aujourd'hui définitif.
David Servenay

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