jeudi 3 août 2006

Interview :Rodrigue KPOGLI, Secrétaire Général de la J.U.D.A



Forum de la Semaine n°177 du 03 Août 2006


Forum de la semaine : Le dialogue inter togolais vient de désigner le président du Burkina Faso pour faciliter les discussions en vue d’un accord pouvant dénouer la crise au Togo. Quelle est votre réaction la-dessus?

Rodrigue KPOGLI : La désignation du président du Faso, Blaise Compaoré pour la médiation dans la crise togolaise n’est pas pour nous une surprise car depuis un bon moment déjà, celui-ci s’est invité dans le débat politique togolais.

Pensez-vous que Blaise Compaoré puisse trouver la solution à la crise togolaise ?

Un médiateur, par définition, doit être indépendant et équidistant des parties en conflit. Or le président Compaoré ne satisfait pas à ces conditions. Des faits objectivement vérifiables l’attestent : lorsque le 5 février 2005, Faure Gnassingbé a réalisé sa forfaiture en s’emparant du pouvoir, non seulement le président du pays des Hommes intègres n’a pas suivi ces pairs de la sous-région qui ont condamné ce pronunciamiento et demandé le retour à l’ordre constitutionnel, mais aussi et surtout, il a déroulé le tapis rouge à Faure Gnassingbé quelques jours plus tard à Ouagadougou.

Lors de la campagne pour l’élection présidentielle du 13 novembre 2005 au Burkina Faso, Faure Gnassingbé a notoirement soutenu le candidat-président Blaise Compaoré en lui fournissant deux hélicoptères et probablement un soutien financier. Il sera dur de café qu’à cette occasion, l’ascenseur ne soit pas renvoyé au généreux bienfaiteur.

Le président du Faso est la main noire de Jacques Chirac sinon de l’Elysée en Afrique Occidentale. N’oublions pas le poids de la France et du réseau françafricain dans le pourrissement de la situation au Togo. A notre avis, il vaut mieux se rendre directement à l’Elysée pour la médiation que de s’adresser à la succursale qu’est le Burkina Faso dirigé aujourd’hui par Blaise Compaoré.
Il faut souligner que depuis que la crise en Côte d’Ivoire a jeté le froid entre les présidents Gbagbo et Compaoré, l’accès du Burkina Faso à la mer est facilité en grande partie par le Togo. Cette forte dépendance du Burkina Faso du port autonome de Lomé qui est apparemment une propriété privée des héritiers de la République est une circonstance aggravante de la méfiance vis-à-vis de cette médiation.

Rappelons aussi que ce n’est pas la première fois que Blaise Compaoré est désigné pour arbitrer la crise togolaise. Il y a eu les Accords de Ouga I, Ouaga II et Ouaga III, cependant la crise est d’actualité.

Alors en termes clairs, la J.U.D.A prédit l’échec de Blaise Compaoré ?

Nous ne voulons pas être des oiseaux de mauvais augure. Nous ne voulons pas non plus manifester un optimisme béat quant à la mission de Blaise Compaoré. Nous observons tout simplement que les accointances entre Lomé et Ouagadougou sont si fortes que l’impartialité du médiateur n’est pas garantie d’office.

Ecoutez ! Nous sommes une organisation de promotion de la démocratie et de défense des droits de l’Homme. Et nous sommes indignés du sort réservé au dossier Norbert Zongo et plus loin au dossier Thomas Sankara que la justice du Faso visiblement aux ordres, tente d’enterrer vaille que vaille. Or une des préoccupations majeures du peuple togolais, est la fin de l’impunité que Blaise Compaoré ne veut pas lui aussi réaliser dans son pays pour des raisons évidentes. De plus, pour se faire élire en 2005, le président Compaoré a procédé à une lecture originale de la constitution de son pays ; ce qui n’est pas assez loin du cas togolais. Donc, en matière démocratique et des droits humains, le président du Faso n’a pas de leçons à donner. Il lui sera difficile d’aborder ces questions sans se voir dans la glace.

A qui profitera un éventuel échec de la médiation de Blaise Compaoré ?

L’échec de la médiation ne sera pas l’échec de Blaise Compaoré ni celui du peuple burkinabé. Ce sera l’échec du Togo et par conséquent l’ajournement du sauvetage des populations togolaises étranglées. A notre sens, la réussite de cette médiation conduirait à court terme à un partage juste du pouvoir et à démocratiser le Togo à moyen ou long terme. Ceux qui ne veulent rien partager selon les règles du mérite ni démocratiser le Togo se frotteront certainement les mains lorsque Ouaga IV aura échoué.

A voir l’évolution des évènements, peut-on affirmer que le RPT, au pouvoir veut vraiment dialoguer avec son opposition ?

C’est en plein dialogue que le désir irréfragable de monarchiser le Togo a été le plus visible. En l’espace de quelques jours, Faure Gnassingbé a nommé Mey Gnassingbé, chargé de mission à la présidence, Toyi Gnassingbé, conseiller technique à la présidence. Le commandant Rock Gnassingbé a, de son côté, été promu lieutenant-colonel. De tels actes prouvent à suffisance que le pouvoir togolais n’a rien à cirer avec un quelconque dialogue qui pourrait étancher la soif de démocratie et de liberté du peuple togolais. Seule la satisfaction égoïste du clan importe.

Revenons sur ce qui est appelé « Accord politique de base » qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Quelle est l’opinion de la J.U.D.A là-dessus ?

La Jeunesse Unie s’est prononcée à répétition sur les ondes relativement au document. Sans focaliser notre opinion sur les questions de paraphe ou de signature et des signataires ou des non signataires, nous disons que cet accord, si on peut l’appeler ainsi, n’est pas de nature à conduire le peuple togolais à la démocratie.

Et pourtant les signataires parlent d’acquis à sauvegarder ?

Lesquels ? On ne fait que nous rebattre les oreilles des dithyrambes sur le grand retour d’une CENI qui organise et supervise les élections ; ce qui n’est qu’un acquis sur papier. Les parapheurs oublient cependant de nous dire que sa composition n’a rien de paritaire et que sur le plan financier la CENI est fortement dépendante de l’Exécutif qui peut, aussi souvent que les circonstances le commandent, la mettre en panne sèche.

On nous parle d’observation nationale ; ce qui par principe est une bonne chose. Mais le hic, c’est que les organisations de la société civile qui peuvent faire un travail crédible et rigoureux en la matière ne seront pas accréditées le moment venu faute de reconnaissance officielle certifiée par récépissé.

On jubile aussi sur le quota des femmes aux élections. Mais nous autres, nous disons simplement qu’aussi longtemps que la politique au Togo restera sur le terrain de violence, et non focalisée sur le débat, les femmes ne s’y intéresseront point. Car de nature, la femme participe très peu à la violence physique. En réalité, le supposé accord politique de base, fait essentiellement de recommandations (et on ne sait d’ailleurs à qui elles sont destinées), ne contient aucun élément sur la très heurtée présidentielle d’Avril 2005. Au contraire il l’efface carrément au profit des législatives miroitées. Ce schéma est le best of de la Françafrique qui voudrait que les Africains soient toujours dans une sorte de supplice de Tantale avec des démocraties tropicalisées.

Il n’y a pas que les questions électorales qui sont contenues dans cet accord tout de même ?

Oui. Sur la question de l’impunité, on a remonté l’histoire jusqu’en 1958 alors qu’à cette époque là, le Togo n’existait même pas encore. C’est d’ailleurs grave qu’on fasse un tel amalgame entre les faits de 1958 et ceux des années 90 à nos jours. Les réfugiés qui sont au Bénin et au Ghana et le massacre répété des populations ne sont pas faits des années 1958. Il ne faut pas se moquer des gens !

Sur le sujet de la sécurité, les parapheurs veulent qu’on augmente l’effectif de la police et de la gendarmerie alors même que nous ne disposons d’aucun chiffre justifiant la nécessité d’un tel accroissement des effectifs. On va jusqu’à « exhorter les partis politiques à s’abstenir de tout ce qui peut être perçu comme des provocations à l’égard des Forces Armées et de Sécurité ». Cela vise tout simplement à interdire les débats sur l’armée et la nécessité de sa réforme. Personne ne provoque l’armée au Togo. Au contraire c’est l’armée qui sort de son cadre. Alors, si elle n’est pas républicaine, en bons citoyens, nous devons en parler. Chose étonnante aussi, l’accord passe l’éponge sur la réalité des milices qui oeuvrent de temps en temps pour terroriser le peuple togolais.

Sur le point des réformes institutionnelles, on n’a pas osé poser la nécessité de la mise sur pied effective du conseil économique et social et de la cour des comptes pour faire l’inventaire des biens appartenant à l’Etat et ceux de la famille royale. Relativement à la réforme constitutionnelle, même si des résistances sont opposées à un retour mécanique à la constitution de 1992, il y a nécessité de faire ce pas en arrière pour remettre la souveraineté au peuple. Même si certaines de ses dispositions peuvent être rediscutées plus tard.

Pour terminer, M. Kpogli, êtes-vous d’avis avec l’opinion selon laquelle le peuple n’a d’autres moyens que de s’accrocher au dialogue quand bien même il ne marche visiblement pas ?

Ce courant à ses raisons. Mais, dire que le peuple n’a d’autres choix que de s’illusionner dans un dialogue avec le pouvoir togolais, c’est borner ce peuple. Les pays qui imposent aux peuples soumis aujourd’hui de part le monde la voie, selon eux incontestable du dialogue, oublient de préciser que lorsque eux-mêmes étaient sous la servitude, ils n’avaient pas dialogué. Il ne doit pas y avoir que les Africains qui peuvent se contenter des avatars du stalinisme. Nous pensons que d’autres voies existent pour nous débarrasser du joug dictatorial au Togo. Si par lassitude ou par manque de courage ou même par incohérence et mal organisation des forces alternatives nous refusons d’explorer ces autres voies, ce n’est pas parce qu’elles n’existent pas.

Propos recueillis par Dimas DZIKODO

Forum de la Semaine n°177 du 03 Août 2006