mardi 9 mai 2006

Togoforum interviewe M. Komla KPOGLI, S.G de la J.U.D.A

Propos recueillis par Alain Nococo le 8 mai 2006

Alors que clopin-clopant, le dialogue intertogolais démarré le 21 avril dernier poursuit son petit bonhomme de chemin à la salle Evala de l’Hôtel Corinthia 2 Février, des voix s’élèvent ça et là pour dénoncer ce qu’elles appellent un nouveau marché de dupes destiné à légitimer le pouvoir en place par la participation des responsables de l’opposition. Et parmi ces voix, on peut citer la Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique (J.U.D.A-), une des organisations de la société civile très active au Togo. Dans une interview qu’elle a bien voulu nous accorder, son secrétaire général Komla KPOGLI revient ici sur la conférence de presse sur l’action courageuse et patriotique de l’ex ministre de l’intérieur, le chef d’Escadron François BOKO qu’elle a organisée le 22 avril dernier, juste au lendemain de l’ouverture du dialogue, et jette un regard critique sur les travaux dudit dialogue. Lisez plutôt !

TOGOFORUM : Votre organisation, la Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique a organisé le 22 avril dernier une conférence publique sur la démission de l’ex-ministre de l’intérieur M. François Esso BOKO. Quels en étaient les objectifs ?

Komla KPOGLI : le 22 avril 2005 alors que tous les regards étaient rivés au scrutin présidentiel du 24 avril, le ministre de l’intérieur, chargé de l’administration électorale a posé un acte courageux et patriotique en rendant le tablier et appelé à la suspension du processus électoral en cours. Il a préconisé une table ronde à l’issue de laquelle, de véritables élections doivent être organisées.
Nous avons estimé qu’en guise d’anniversaire, il faut faire une rétrospective analytique de la jurisprudence politique que M. BOKO avait inauguré au Togo, tirer les enseignements qui en découlent, débattre de la question de l’impunité et formuler des alternatives à la crise togolaise. Nous avions voulu aussi à travers cette conférence, appeler les dirigeants togolais à s’inspirer de cette jurisprudence.

Que voulez-vous dire par là ?

M. BOKO était un homme du régime. La nuit du 05 février 2005 lors du coup d’état absolument cynique de Faure Gnassingbé, il était parmi les officiers supérieurs de l’armée qui lui avaient prêté allégeance. De toute évidence, M. BOKO a un passé. Mais, il a le mérite d’avoir refusé de faire couler davantage le sang du peuple togolais. Il a immolé ses intérêts propres sur l’autel du bien commun. Et cet acte lucide est une référence à double point de vue : militaire et politique.

Militaire, parce que l’ex-ministre était un officier supérieur, chef d’escadron de l’armée togolaise. En rendant le tablier, M. BOKO a ainsi refusé de faire couler le sang du peuple togolais contrairement à ses autres compagnons jusqu’au-boutistes. Cet acte est une invite à tout homme en arme de ne pas servir les intérêts contraires aux idéaux républicains.

Politique, parce que, M. BOKO était ministre en fonction et de surcroît, chargé d’organiser l’élection du 24 avril. Une mission fondamentalement politique. Sa démission est un appel à tout politique de rendre le tablier lorsque l’intérêt général n’est pas au cœur de son action.
En tout état de cause, l’acte de l’ex-ministre est une exhortation aux adeptes du régime ensanglanté du Togo à refuser la solidarité dans la bêtise noyée sous le vocable de la solidarité gouvernementale. C’est tout simplement un appel à la citoyenneté.

M. BOKO est-il selon vous l’espoir de la jeunesse togolaise?

Nous n’avons pas la mission de créer un père Noël encore moins le messie pour la jeunesse togolaise. La J.U.D.A ne possède pas cette fabrique de porteurs d’espoir.

Vous savez ? La jeunesse est elle-même porteuse d’espoir. Donc dire que l’espoir de la jeunesse viendrait de « l’extérieur » est une négation des capacités de cette tranche de la population dont les traits caractéristiques sont le dynamisme, la force, la créativité et l’action. C’est ainsi qu’à partir de ces caractéristiques, nous mobilisons la jeunesse sur la base des informations justes. La jeunesse togolaise doit aussi s’inspirer des modèles de citoyenneté.

Notre démarche consiste à appeler à une prise de conscience individuelle qui débouche sur celle collective. Les organisations de jeunesse pour atteindre ces objectifs, doivent œuvrer dans le seul et unique but de démocratiser le Togo. Il faut conjurer les démons de la division pour l’union sacrée en faveur de luttes qui valent la peine et des leaders de jeunesse dont la franchise des propos traduit la sincérité des intentions, qui elles-mêmes sont en conformité avec des actes qu’ils posent. Et non des leaders aux aguets pour capter des sources de financements ou encore au devant de la scène pour jouer au m’as-tu vu juste pour se positionner à être nommé à tel ou tel poste. Nous devons dépasser le nombrilisme et le carriérisme, ce sont les enjeux d’aujourd’hui qui l’exigent.

Votre conférence ne fait-elle pas de M. BOKO un nouveau leader dont l’émergence est ainsi facilitée ?

La J.U.D.A ne servira pas de tableau d’affichage à quelque courant de pensée que ce soit. Notre organisation ne sera pas non plus le principal sur lequel viendra se greffer un leader émergent. Nous entendons nous-mêmes être à l’avant-garde de la bataille pour la démocratie dans notre pays, et ceci dans la dignité.

L’opposition togolaise avait-t-elle saisi la portée de la démission du ministre chargé de l’administration électorale ?

Absolument pas ! Sinon elle aurait renoncé à participer à un scrutin décrié par le principal organisateur. L’opposition n’avait pas saisi ce coup de Trafalgar de M. BOKO pour placer la soi-disant communauté internationale devant ses responsabilités. L’opposition togolaise, jusqu’à ce jour, n’arrive pas à confectionner son propre agenda, ses propres priorités et ses propres moyens de combat. Elle s’accroche, s’aliène à l’agenda de la « communauté internationale » alors que les motivations et les priorités ainsi que le calendrier de celle-ci, par expérience, ne sont pas ceux des peuples martyrisés. Le plus souvent d’ailleurs, les peuples ne sont martyrisés que grâce à l’appui actif ou passif de cette « communauté internationale ».

Justement M. KPOGLI, parlant de l’opposition, elle est actuellement en dialogue avec le pouvoir. Pensez-vous qu’elle puisse peser sur les débats ?

Avec quels moyens va-t-elle pouvoir le faire? D’ailleurs ce dialogue est un marchandage. Visiblement certains responsables de partis veulent aller au gouvernement et ils veulent le faire par le truchement d’un certain dialogue politique au vu et au su de tous dans le souci d’éviter les critiques d’une population légitimement nerveuse.
Ce qui se passe actuellement à la salle Evala de l’hôtel 02 février s’apparente à une comédie mieux une tragi-comédie.

Vous estimez donc que le dialogue intertogolais qui se déroule actuellement n’est pas sérieux ?

Ecoutez ! Le dialogue a été ouvert à quelques jours seulement de l’anniversaire de la parenthèse de sang de Faure Gnassingbé. Et ceci a eu le double effet d’orienter tous les regards vers cette rencontre de dupes - alors que le sang de nos concitoyennes et concitoyens exige de nous des manifestations contre l’impunité et pour des mesures de confiance favorisant le retour des réfugiés togolais - et de légitimer le pouvoir en place par la participation des responsables de l’opposition. Par ailleurs, par l’ouverture du fameux dialogue et l’annonce de la célébration de 27 avril, Faure Gnassingbé a réussi à hypnotiser l’ensemble des défenseurs des droits humains et la famille des démocrates. Cela a émoussé les initiatives citoyennes qui devraient être organisées.

Où est alors le sérieux dans tout ceci. Le seul gagnant de cette mascarade c’est le régime qui a ainsi réussi à franchir le cap de l’an un sans contestation populaire et a trouvé une certaine légitimité à vil prix. L’opposition en est responsable, car elle n’a pu éviter de cautionner ce subterfuge grotesque.

Etes-vous en train d’appeler à une nouvelle classe politique ?

La nouvelle classe politique ne tombera pas du ciel. Il faut travailler à cela. Les acteurs politiques d’aujourd’hui, finalement, n’existent que de nom. Ils sont devenus des acteurs au sens théâtral du terme n’esquissant le moindre geste que sur recommandations de leurs metteurs en scène. D’autres sont purement et simplement des intermittents du spectacle politique. Ils ont trop subi les estocades du pouvoir de Lomé 2. Mais, il ne nous appartient pas de les licencier. Nous n’avons embauché aucun leader politique pour prétendre aujourd’hui les mettre à la retraite. Seul le peuple congédie les hommes politiques.

A notre sens, le peuple togolais ne peut raisonnablement plus exiger trop de choses de certains de ces responsables au crépuscule de leur vie politique et liés à certains hommes du pouvoir par des relations confrériques.

Que voulez-vous dire en parlant de relations confrériques ?

Il est beaucoup de responsables de l’opposition qui sont des sectes et autres sociétés secrètes telles que la franc-maçonnerie au même titre que certains membres du parti au pouvoir. Ces liaisons font qu’en réalité, il ne se joue rien d’autre que des matchs amicaux entre les deux pôles.

Donc ?

Donc quoi ? Je ne souhaite pas en dire plus.

Deux organisations de la société civile, le REFAMP et le GF2D sont au dialogue national. Pensez-vous qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle ?

Le REFAMP et le GF2D ont été à la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) et avaient proclamé les faux résultats du scrutin présidentiel du 24 avril 2005.

Le REFAMP est dirigé par la présidente de la CENI, une mère de famille qui n’a pas eu l’instinct maternel de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Sans cœur ni esprit républicain, elle a donné des résultats tronqués, couronnant ainsi en toute illégitimité Faure Gnassingbé. Le GF2D s’était rendu complice de ce fait dès lors qu’il ne s’est jamais publiquement prononcé sur l’exactitude des chiffres proclamés et qui ont occasionné des morts, des blessés, des déplacés et des exilés. Le GF2D n’a pas non plus rendu compte de ses actes au CASCOST dont il est membre. Lorsque nous avions posés la question, un avocat proche de ce groupe nous a dit que le GF2D est allé à la CENI à titre individuel.

Quel rôle ces deux organisations de femmes ayant installé leurs lits dans l’antichambre du pouvoir, vont-elles jouer ? Franchement, nous ne pensons pas que le REFAMP soit de la société civile et que le GF2D soit représentatif. Le GF2D est allé certainement à ce dialogue à titre individuel comme à la CENI. La plupart des participants au dialogue connaissent ces réalités mais se taisent. Au finish, c’est un gentlemen’s agreement de bonnes consciences qui prévaut sur les intérêts du peuple togolais.

Mais, il y a eu une Assemblée Générale du CASCOST qui a élu le GF2D à sa coordination. Donc, en toute logique le GF2D parle au nom de ce collectif auquel vous appartenez...

Cette Assemblée Générale a été organisée pour légitimer le GF2D au prétendu dialogue. Beaucoup de choses se sont passées. Nous ne souhaitons pas entrer dans les détails. Ce qui s’était passé en réalité à l’AG du 22 avril dernier, c’est moins une élection qu’une cooptation. Les postes ont été partagés avant l’Assemblée Générale.

Le plan tel que ficelé visait à couper l’herbe sous les pieds de certaines associations plus sérieuses et ranger les organisations de jeunesse membres du CASCOST dans les commissions afin qu’elles n’influencent pas les décisions de l’exécutif. Nous avions protesté contre ces différents plans. Nous avions même dit à certains aînés que si ces plans aboutissaient, la jeunesse se sentirait écartée et ne donnera plus le meilleur d’elle-même, mais nous n’avions pas été écoutés. Je rappelle au passage que c’est nous les jeunes qui, descendons le plus souvent sur le terrain.
Nous réitérons ici les propos que nous avions tenu lors de l’AG ajourné du collectif en décembre 2005 : le peuple togolais est pris en otage par une pègre internationale et une mafia interne. C’est dommage !

A vous entendre, on a l’impression que vous rejetez le dialogue. Alors que proposez-vous ?

Non, dans l’absolu nous ne rejetons pas le dialogue. La société togolaise est gravement blessée. Nous sommes conscients qu’on ne peut bâtir une nation sur des amertumes et sur des ressentiments. Convaincus que les mots suturent les cicatrices pour replier les rebords de la blessure l’un sur l’autre et la refermer en laissant une trace qui sera porte-parole, témoin de l’histoire, nous devons renouer avec la parole.

En revanche ce que nous reprochons à ce qu’on appelle actuellement dialogue, c’est sa légèreté et ses réelles motivations. A notre avis, d’autres acteurs doivent y participer à la mesure de leur implication dans la crise ou leur influence dans la vie nationale. Et parmi ceux-ci, figurent l’armée, les églises, les organisations de défense des droits humains, la jeunesse et la diaspora…Il est par exemple nécessaire que l’armée déballe les motivations réelles qui la poussent à tuer et empêcher l’émergence d’un Togo démocratique et juste. On ne doit pas non plus oublier la question des milices.

On peut appeler ceci dialogue, conférence nationale ou table ronde ; L’essentiel c’est de poser les problèmes les uns après les autres et leur trouver des solutions avec une feuille de route dont la clarté ne doit souffrir d’aucune ambiguïté.

Au cours de cette rencontre, le pouvoir illégitime de Faure Gnassingbé doit être à l’écoute et agir de manière convaincante, sincère et résolue dans le sens de sortir le Togo à jamais des ténèbres où feu Eyadema et lui-même l’ont plongé. Il ne pourrait en être autrement pour espérer un début d’acceptation de son pouvoir par le peuple.

Le pouvoir a célébré cette année le 27 avril et réhabilité les anciens chefs d’Etat togolais. Ne pensez-vous pas que c’est un signe d’ouverture et de réconciliation qu’il faut saluer ?

Le régime a fait d’une pierre deux coups. En donnant l’impression de célébrer l’indépendance du Togo, Faure Gnassingbé célébrait en réalité son avènement au pouvoir officiellement proclamé le 26 avril 2005 par la CENI.

Nous sommes de ceux qui pensent qu’on ne peut réconcilier le peuple togolais rien que par les fêtes. C’est insurmontable qu’on fasse la fête aux côtés des cadavres, des blessures encore saignantes et des réfugiés qui souffrent dans les camps au Bénin et au Ghana. La réconciliation ne se décrète pas. Il faut enclencher le processus en reconnaissant très clairement que ce sont les militaires qui dirigent le Togo et que la présidence n’est qu’une annexe du ministère de la défense. Ensuite, il faut que les acteurs des différents crimes commis au Togo fassent allégeance à la vérité et à la justice.

L’évanescence des responsabilités dans l’anonymat du « nous » est fondement d’une fuite permanente et donc inacceptable. Enfin, la réconciliation sera faite dès lors que le peuple togolais retrouvera sa souveraineté démocratique en ayant le pouvoir de se doter lui-même des dirigeants à sa convenance et que les richesses dont il a été dépouillé lui seront retournées. Tout compte fait, nous sommes d’un même espace et nous devons travailler sincèrement pour ne pas répéter la bêtise de cette nuit d’obscurantisme et de haine imposée par les chantres putatifs de la paix et de la stabilité.

Lorsqu’on aligne les images des anciens chefs d’Etat du Togo l’une après l’autre, est ce cela la réhabilitation ? Au nom d’une certaine réconciliation décrétée d’ailleurs par les bourreaux, on ne peut tolérer la dangereuse confusion de mettre sur un pied d’égalité ceux qui ont versé leur sang pour l’indépendance et ceux qui ont fait la guerre d’Algérie. Le 27 avril, c’est la mémoire de ceux qui ont versé leur sang pour la patrie et non celle de ceux qui ont versé le sang du peuple pour leur propre survie et pour les intérêts de la métropole.

Merci Monsieur KPOGLI

C’est à moi de vous remercier.